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La politique sur la route de l'obsolescence programmée

Changer d’air


Au moment où sort cet article, nous sommes en plein mois de juillet, un mois d’été, un mois de vacances, un mois où l’on veut changer d’air! Alors c’est ce que je fais, je me promène, je parcours la presse, je m’intéresse à tout ce qui me passe sous la main. Et je m'aperçois à quel point le monde change d’air pour le moment.

Pour tout vous dire, si je pense que l’été joue dans cette impression, et nous y reviendrons, je pense qu’elle n’en est pas la seule cause. La société est en perpétuel mouvement, en changement constant. Il suffit de se promener quelques minutes de commune en commune pour s'apercevoir à quel point toutes mènent pour le moment de plus ou moins grands travaux pour se moderniser. Et pour cause, certaines de nos installations deviennent vétustes, d’autres sont technologiquement dépassées, enfin, certaines ne sont plus en phase avec les idéologies actuelles, ne sont plus jolies.

Je trouvais ça assez exceptionnel et fantastique comme changements alors je me suis empressé d’en parler autour moi et notamment à Juliette Ferrière, diplômée en communication, et qui travaille avec moi sur ce site et mes articles. Quant à elle, elle me raconta comment s’était passé la soutenance de son mémoire. On peut dire qu’ayant fini un master, elle aussi allait peut-être changer bientôt d’air.

Mais, plus je l’écoutais, plus je me rendais compte que, bien que ne parlant pas de la même chose, nos outils d’analyse se rejoignaient. Peut-être, en fait, étions-nous en train de découvrir, à deux et bien involontairement, à quel point son sujet d’étude avait bouleversé la manière de concevoir la société et que celui-ci, bien que ne concernant pas du tout mes trottoirs, pouvait être utilisé pour en analyser la rénovation.

Vous l’aurez compris au titre de l’article, Juliette travaillait sur l’obsolescence programmée.


L'obsolescence programmée


Pour être tout à fait franc avec vous, je ne suis pas dupe, je sais bien que les travaux que j’ai croisés dans mes pérégrinations estivales sont surtout liés à l’approche des élections communales qui auront lieu en Belgique le 14 octobre prochain. Pour autant, je ne savais pas quelle théorie pouvait être utilisée pour mettre ce phénomène en perspective et c’est Juliette qui m’en donna, non sans savoir ce qu’elle faisait, la clef la plus utile.

Celle-ci, nous y reviendrons, n’est pas forcément directement à chercher dans l'obsolescence programmée. En effet, à moins d’en prendre une définition très large, à un point qu’elle perdrait peut-être tout sens, il n’est pas possible de parler des décisions politiques en tant qu’obsolescence. Néanmoins, et on ne s’en rend pas forcément compte à première vue, il existe différents outils pour comprendre les phénomènes de désuétude précoce. Ce sont ces outils que nous allons utiliser pour comprendre la vague actuelle de rénovations.

Mais avant de se précipiter dans des explications plus complexes, peut-être faudrait-il d’abord que je la laisse vous expliquer ce qu’est l'obsolescence programmée et que je vous donne des outils pour l’analyser comme elle le fît.


Définition

" « Obsolescence programmée », deux mots revenant de plus en plus dans notre quotidien ces dernières années. Deux mots facilement utilisés pour dénoncer diverses pratiques et analyser certains aspects de notre société de (l’hyper) consommation et du gaspillage.

Tout le monde a entendu cette expression et y a sans aucun doute été confronté au cours de sa vie. En effet, qui n’a pas eu l’occasion d’acheter une imprimante ou un ordinateur tombant en panne rapidement et n’étant pas réparable ? Ou dont les pièces de remplacement sont indisponibles ou hors de prix ? Qui n’a jamais remplacé un vêtement ou une voiture avant la fin de sa durée de vie par sa propre volonté ?

Malgré la place de ce phénomène dans nos vies et dans nos discussions, sa définition reste floue ou en tout cas sujette à débat en fonction des parties prenantes. Et pour cause, la controverse réside dans la transversalité de l’obsolescence programmée qui touche l’ensemble de la société, depuis les fabricants et distributeurs aux consommateurs en passant par divers acteurs étatiques.

La responsabilité de cet enjeu est donc partagée, tout comme le sont les nombreux domaines touchés par l’obsolescence programmée : environnement, économie, organisation sociale du marché du travail, habitudes culturelles de consommation, problèmes sanitaires liés à l’excès de déchets, image de marque et communication des entreprises…

Seule une définition assez générale permet d’unir la variété inhérente à l’obsolescence programmée. A ce titre, le Larousse la décrit comme la « dépréciation d'un matériel ou d'un équipement avant son usure matérielle ». Ce n’est donc pas la dépréciation seule que nous critiquons ici mais bien son antériorité à l’usure matérielle: nous critiquons l’obsolescence programmée et non seulement l’obsolescence. Pour autant, il nous arrivera de céder à l’abus de langage qui nous pousse à dire obsolescence pour signifier uniquement sa variété programmée.

L’obsolescence programmée n’est donc pas (seulement) un complot mené par les industriels pour saboter leur projet et augmenter leur profit. L’obsolescence programmée est avant tout un problème de durée de vie des produits ou de longévité de façon générale dans le cas où le phénomène est étendu au-delà (comme par exemple à l’alimentation ou encore aux relations humaines).

Typologie


La définition du Larousse a l’avantage de limiter les débats en regroupant les deux principaux types d’obsolescence programmée : l’obsolescence technique (ou fonctionnelle) et l’obsolescence esthétique (aussi appelée psychologique ou symbolique). Pour plus de facilité, cette typologie sera présentée en se concentrant sur la désuétude planifiée d’objets concrets.

L’obsolescence dite « technique » est la plus connue et médiatisée bien que pourtant la plus rare dans les faits pour cause du danger d’éventuelles poursuites judiciaires pesant sur les fabricants si leur stratagème est dévoilé.

Au sens strict, elle correspond à l’introduction volontaire d’un défaut technique interne à un produit afin d’en réduire sa longévité. Un exemple typique est l’introduction d’un compteur d’impressions dans une imprimante bloquant celle-ci une fois un certain nombre atteint.

D’autres exemples plus courants d’obsolescence technique existent, notamment l’obsolescence « indirecte ». Ce phénomène survient lorsqu’un produit devient inutilisable à cause du caractère défectueux d’un produit associé non-réparable ou irremplaçable. Un chargeur cassé dont le modèle a été remplacé par un autre depuis l’achat de l’appareil est un exemple de ce phénomène.

De même, l’obsolescence « de service après-vente » se produit lorsqu’un objet ne peut être réparé dans le cas où le fabricant ne propose pas ce service ou lorsque le prix de la réparation est trop élevé comparé par rapport au rachat d’un produit neuf.

L’obsolescence « par incompatibilité » est similaire. Celle-ci se produit lorsqu’un appareil n’est plus adaptable aux évolutions technologiques. C’est par exemple le cas d’un matériel informatique trop ancien pour un nouveau logiciel ou un nouveau système d’exploitation.

Enfin, face à ces différentes sous-catégories d’obsolescence technique se trouve un phénomène passant souvent plus inaperçu pour les consommateurs puisqu’il induit une plus grande part de responsabilité pour eux : l’obsolescence psychologique ou esthétique. Elle renvoie à la mode et aux diverses tendances mais surtout aux désirs des consommateurs souvent accentués (voire déclenchés) par la publicité. Ainsi, en rendant nos possessions moins attirantes ou démodées face à des nouveautés, la publicité permet de perpétuer le consumérisme et la croissance propres aux sociétés touchées par l’obsolescence programmée. Un exemple frappant est le taux moyen de remplacement des smartphones pour un nouveau modèle: environ tous les 1 an et demi.

Ces exemples n’ont pas pour but de former une liste exhaustive mais de présenter la variété des phénomènes regroupés sous le nom d’« obsolescence programmée ». Ces différentes formes ne doivent pas non plus se comprendre de façon distincte puisqu’elles peuvent tout à fait se cumuler. C’est par exemple le cas lorsque certains fabricants de smartphones qui, après avoir étudié la durée maximale d’utilisation de leurs appareils par les consommateurs (en moyenne 1 an et demi), choisissent de limiter la longévité de leurs produits à 2 ans.

Historique


Si l’obsolescence esthétique et les effets de mode sont très anciens comme le prouvent par exemple différentes modes vestimentaires, décoratives ou encore culinaires de l’Empire romain, il faut attendre le développement du commerce à grande échelle et la révolution industrielle pour attester l’existence de l’obsolescence technique. En effet, avant l’ère industrielle, « économie » signifiait favoriser la qualité et la longévité des produits, somme toute lutter contre le gaspillage et « être économe ».

L’obsolescence programmée atteint son apogée au XXème siècle suite à la crise économique de 1929. La création de cette expression en deux mots revient à l’américain Bernard London qui lui attribuait alors une connotation positive : l’obsolescence programmée était la clé pour relancer la croissance après la Grande Dépression.

Les premières études et dénonciations de l’obsolescence programmée surviennent ensuite durant la seconde moitié du XXème siècle. Il faut attendre le XXIème siècle pour voir le sujet entrer dans la sphère politique et être relayé par divers acteurs institutionnels et de la société civile. Depuis, diverses actions et politiques ont été menées sur le plan national dans des pays comme la France et la Belgique. De plus, à échelle supranationale, le Parlement européen a adopté une résolution intitulée « une durée de vie plus longue des produits : avantages pour les consommateurs et les entreprises » il y a tout juste un an.

Conséquences

Les conséquences de l’obsolescence programmée sont à son image : vastes et variées.

D’un point de vue environnemental, ce phénomène contribue à l’épuisement des ressources naturelles mais aussi à l’augmentation des déchets produits. Un exemple frappant est l’impact environnemental des déchets électroniques : en 2016, 21,3 kg de déchets électroniques ont été produits par personne en moyenne en France alors que seulement 16% de leurs composants sont recyclables. A noter que l’incinération des composants électroniques peut également avoir des répercussions sur la santé publique à cause de leur caractère toxique pour l’être humain.

Sur le plan économique et social, l’obsolescence programmée contribue à la croissance de la société de consommation. Elle favorise l’endettement et l’achat à crédit en particulier auprès des personnes les plus précaires financièrement qui n’ont pas les moyens de payer plus cher pour des produits durables. Concernant le secteur de l’emploi dans les pays « consommateurs », l’obsolescence programmée contribue aussi à une diminution du secteur de la réparation. De même, dans les pays « producteurs », elle participe à une exploitation intensive de certaines ressources (comme des minerais) sans prendre en compte les conditions de travail des ouvriers les extrayant.

Du point de vue des entreprises, la confiance et la préservation de leur image de marque à l’égard des consommateurs est mise à rude épreuve. Celles-ci doivent, entre autres, adapter leur communication pour regagner le soutien des consommateurs.

Sur les plans éthique et culturel, l’obsolescence programmée amène une remise en question de nos habitudes individuelles et collectives de consommation. Elle nous invite à nous interroger sur nos modes de production, de distribution de produits mais également sur leur fin de vie. L’obsolescence programmée met en cause notre modèle d’économie linéaire à l’opposé d’un modèle circulaire plus éthique. Elle ouvre la réflexion tant au niveau local, national, qu’international. Enfin, elle permet d’étendre le débat au-delà de la simple opposition entre environnement et économie et de s’interroger sur d’autres domaines de nos vies affectés par une obsolescence anticipée.

L'obsolescence en politique

Introduction

Vous avez maintenant une idée de définition plus ou moins rigoureuse de l’obsolescence programmée. Cependant, il n’y a peut-être, dans notre première partie, pas grand chose qui vous étonne. Néanmoins, ce qui est peut-être plus dissonant avec le discours public, c’est l’étendue du phénomène, que ce soit dans ses conséquences ou dans sa nature.

En effet, d’une part, l'obsolescence n’est pas un objet réservé aux écologistes ou autres anti-matérialistes puisqu’elle a de nombreux effets sur notre manière de percevoir la société et également de nombreuses conséquences sur celle-ci. D’autre part, si l’obsolescence a une définition assez restrictive, il existe de nombreux phénomènes qui lui empruntent ses logiques et structures et qui l’égargissent indirectement à l’ensemble de la société.

Les effets sociaux de l'obsolescence

"Alors que l’obsolescence programmée était d’abord perçue comme une solution miracle aux crises économique et sociale du XXème siècle, le phénomène contribue aujourd’hui à divers effets négatifs voire pervers dans ces mêmes domaines.

L’obsolescence s’inscrit dans une logique de production, de consommation et de déchets de masse qui repose sur l’idée que la vente de produits incassables n’engendrerait pas un profit suffisant pour les fabricants et réduirait l’emploi. Or, en plus de la disparition des métiers de la réparation, les emplois de production sont également menacés par l’obsolescence programmée. En effet, si ces derniers existent toujours, ils sont nombreux à être délocalisés dans d’autres régions du monde. Et la création de ces emplois n’est pas réjouissante lorsque celle-ci a lieu dans des États où la protection sociale peine à exister et que les droits humains sont bafoués lorsque certains ouvriers sont surexploités ou doivent mettre leur vie en danger durant leur travail. De même, le système économique propre à l’obsolescence programmée renforce les inégalités entre les régions consommatrices et les régions productrices subissant certains effets pervers de la mondialisation de ce phénomène comme la naissance de conflits locaux autour de la raréfaction des ressources indispensables à certains produits.

De plus, si l’obsolescence apporte de nouveaux produits sur le marché et souvent moins chers, cet effet positif est bien souvent une illusion. Non seulement le prix n’est plus gage de durabilité, mais le rachat régulier d’appareils (bas de gamme ou non) suite à leur fin de vie prématurée contribue à l’augmentation des dépenses des consommateurs. Ces derniers pourraient tenter de faire réparer leurs appareils, partant du principe que les pièces de rechange soient disponibles dans des délais raisonnables, mais ils feraient également face à une hausse du coût de réparation, souvent plus élevé que le rachat d’un nouveau produit de remplacement… De nouvelles inégalités apparaissent également entre les consommateurs puisque ce sont généralement les personnes possédant le plus petit porte-monnaie qui achètent les produits les moins durables à raison de leur coût moins élevé. Ces mêmes consommateurs achètent parfois leurs appareils à crédit sans parvenir à la fin du paiement avant la fin de vie dudit appareil. Ainsi, l’obsolescence programmée renforce les inégalités sociales tant à un niveau national qu’international en plus de privilégier une logique de quantité face à une logique de qualité.

Du côté de l’obsolescence psychologique, deux effets sont constatés. D’une part, l’arrivée constante de nouveaux produits sur le marché entraîne une surévaluation des nouveautés face aux anciens produits décevants par leur durée de vie. D’autre part, le fait que l’obsolescence esthétique soit parfois utilisée pour justifier l’obsolescence technique et fonctionnelle pose un problème éthique. C’est par exemple le cas lorsque certains fabricants mènent des études pour calculer la moyenne d’utilisation de leurs appareils, comme précédemment dans l’exemple des smartphones, pour ensuite adapter la durabilité de leurs produits à l’état du marché.

Enfin, en regardant au-delà de la consommation de produits, on constate que l’obsolescence nous touche parfois même là où nous ne l’attendons pas. Nous vivons dans un monde de consommation, d’accélération et d’actions non-stop et, surtout, dans un monde combinant ces deux aspects. Aujourd’hui, avec les nouvelles technologies, tout va très vite. Nous sommes entourés d’informations à rapidement ingérer pour être réceptif aux suivantes. La course à l’information menée par les journalistes démontre la courte durée de vie de l’information et par là même son obsolescence. Mais cette obsolescence ne touche pas uniquement les grands médias ou les grandes institutions. Nos relations interpersonnelles, notre façon de communiquer avec le monde qui nous entoure tendent aussi vers l’obsolescence. Avec le développement des nouvelles technologies, il n’a jamais été aussi facile d’entrer en contact avec de nouvelles personnes, de créer de nouveaux liens, de privilégier la quantité sur la qualité et d'étendre cette logique au-delà du matériel... De même, les progrès informatiques et technologiques comme ceux de l’intelligence artificielle nous rappellent notre propre faiblesse : notre vie à durée limitée. En créant des machines de plus en plus intelligentes et indépendantes, le pouvoir de l’Homme se voit parfois réduit. Et certains diraient de même pour notre intelligence reléguée à de micro-ordinateurs présentes dans nos poches mais devenus malgré nous indispensables à notre quotidien et apportant leur propre lot de dangers.


L’obsolescence nous impacte donc à tous les niveaux de notre vie et ce tant personnellement qu’à un niveau sociétal."

La politique de l'obsolescence

Il est peut-être temps maintenant de revenir sur notre exemple des trottoirs. En effet, maintenant que nous avons en mains les clefs d’analyses et que nous avons vu l'importance des effets de l’obsolescence programmée, nous pouvons voir comment certains de ses principes ont été exportés dans moultes actions politiques.


Nous ne pouvons néanmoins pas faire l’impasse sur la démonstration de la proximité entre la rénovation des trottoirs et la théorie de l’obsolescence programmée. Tout d’abord, nous ferons un bref retour sur la définition de l’obsolescence pour voir à quel point notre problématique est écartée de celle-ci. Ensuite, nous tenterons d’appliquer les catégories de l’obsolescence à notre problématique.

Pour rappel, nous avions fait notre la définition du Larousse qui décrivait l’obsolescence comme la « dépréciation d'un matériel ou d'un équipement avant son usure matérielle ». Cette définition ne nous permet pas d’aborder directement la problématique des décisions politiques. En effet, outre le caractère très tangible nécessaire pour rencontrer les deux occurrences de matériel(le), nous ne pouvons pas parler d’une dépréciation auprès du public. En effet, le trottoir qui va être renouvelé, n’est pas directement sali auprès du public pour que celui-ci demande sa réparation. Le trottoir n’est pas non plus forcément conçu pour être renouvelé au moment qui arrange le mieux les politiques.

Néanmoins, dans le cas qui nous concerne, nous observons que l’opportunité de changer de trottoir devient plus importante à l’approche des élections, et ce, que le trottoir soit délabré ou non. Garder l’ancien trottoir a donc, corrélativement, moins de valeur. Ce dernier subit une certaine dépréciation à l’approche des élections, quel que soit son état.

Le travail sur la définition de l’obsolescence programmée nous révèle donc que les décisions politiques, comme celles de rénover les trottoirs, bien que n’étant pas de l’obsolescence, partagent des caractéristiques et des logiques de l’obsolescence programmée.


Cette proximité peut être amplifiée en se tournant vers la typologie de l’obsolescence. En effet, nous avions défini une série de formes pour celle-ci avec, entre autres, l’obsolescence technique, par incompatibilité ou esthétique. Cette classification est un outil intéressant pour comprendre les mécanismes qui nous poussent à remplacer un produit et elle forme une partie de l'intérêt de la théorie de l’obsolescence.

Revenons un instant sur notre description des rues avant les travaux: “certaines de nos installations deviennent vétustes, d’autres sont technologiquement dépassées, enfin, certaines ne sont plus en phase avec les idéologies actuelles, ne sont plus jolies.” Il y a là trois causes poussant au changement: La vétusté, la technologie et l'esthétique ou l’idéologie. Laissons la première de côté, elle ne représente sans doute qu’un renouvellement “normal”. A l’inverse, la seconde cause se réfère assez directement à l’obsolescence technologique: On dit qu’une installation est dépassée pour la remplacer d’urgence alors qu’elle est encore fonctionnelle. Quant à la dernière cause, il s’agit de l’obsolescence psychologique ou esthétique: On change pour faire plus beau ou plus en phase avec la société actuelle.

On observe donc par ce raisonnement que les outils d'analyse de l’obsolescence programmée sont applicables à des décisions politiques. Pour autant, l’objectif des outils n’est jamais seulement de classer sans autres fins. Alors, est-il possible de tirer des enseignements de l’obsolescence programmée et de les généraliser au reste de la société?

Tout d’abord, nous pouvons utiliser nos outils pour comprendre la première cause de changement des infrastructures: Le vieillissement. Ce vieillissement, il est naturel. Ce qui peut être contrôlé, c’est sa vitesse. L'intérêt pour un décideur est que le vieillissement d’une chose la rende inutilisable au moment qui l’intéresse le plus. Ce moment, cela peut être le plus tard possible mais cela peut aussi être à l’approche des élections. En effet, celle-ci étant prévisible, et le désir de tirer de la force politique de travaux étant organisable à l’avance, pourquoi construire des installations ayant une durée de vie supérieure à un mandat? L’obsolescence programmée nous enseigne donc que la durée de vie d’un objet peut être manipulée et que le vieillissement n’est pas forcément une cause “naturelle” de renouvellement.

Ensuite, via l’explication de ses conséquences, la théorie de l’obsolescence programmée nous permet de comprendre la gravité de nos comportements. En effet, à première vue, il n’y a pas de mal à remplacer une rue peu usée pour la rendre effectivement un peu plus jolie, comme il n’y a pas de mal à ne pas anticiper les évolutions technologiques mais à rester le plus proche possible de la réalité de la science. Tous ces travaux ont même des avantages que ce soit au niveau de l’emploi ou du PIB, des avantages qui sont facilement quantifiables. Néanmoins, ces avantages cachent d’autres conséquences telles que le coût financier de ces mesures, supporté par le citoyen, les dégâts au niveau du tissu environnemental, ou encore le désintéressement envers certaines valeurs. L’important devient l’instrumentalisation des travaux pour le pouvoir politique et non plus sa satisfaction des besoins matériels et moraux de la population.


Sortir de l'obsolescence


Après avoir porté ces constatations, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander comment changer les choses. En effet, notre propos ci-dessus ne vise pas à être un plaidoyer d’une sortie complète de la société actuelle ou de mesures radicales. S’il faut agir, s’il faut faire des sacrifices pour nos valeurs, il n’est pas nécessaire de se faire violence au plus haut degré. Nous désirons, à la place, vous proposer 3 moyens d’avancer vers la modification de notre système qui sont et efficaces et réalistes.


S’informer (et sélectionner)


Sans doute est-ce là la première des choses à faire: se rendre compte de la situation et de ses implications. L’article que vous êtes en train de terminer de lire, à ce propos, tente de vous informer d’une manière très globale sur la situation. Néanmoins, une information plus précise, sur chaque marque, ne manque également pas d'intérêt.

À ce propos, nous vous renvoyons vers des initiatives tels que “produits durables” qui permet de visionner des avis par marque sur des produits de consommation courante souffrant souvent de l’obsolescence programmée comme les téléphones portables. Entre autres outils fournis par le site, on y trouve une moyenne de durée de vie des produits telle que vécue par les consommateurs.

Cette moyenne a un grand intérêt. D’abord, elle permet un réalisme: Non, votre téléphone portable ou votre ordinateur ne vous accompagnera pas toute votre vie. Il n’y fera probablement même qu’un court passage. Il n’est donc peut-être pas intéressant de dépenser des fortunes pour en acquérir un de la dernière technologie et avec le style le plus raffiné. Ensuite, la moyenne d'âge permet de relativiser le prix de vos appareils. Parfois, il est bien de payer un peu plus cher, parfois non. Cette appréciation peut se faire au niveau de la charge financière de l’appareil ou de son coût environnemental. C’est donc plus largement un moyen d’accorder ou non de la valeur à une chose. Enfin, connaître la durée de vie d’un produit vous permet d’estimer l’opportunité d’alternatives telles que la réparation, nous y reviendrons, ou la passation en seconde main. En effet, que vous soyez actuel propriétaire ou futur acquéreur, le passage par la case réutilisation a du sens. D’une part, cela ne vous coûtera pas plus de donner que de jeter et, d’autre part, cela vous permettra peut-être de récupérer des appareils ayant encore du temps de vie. En bref, il s’agit là d’une forme de collectivisation qui ne manque pas d’intérêt. Pour trouver des initiatives de ce type, nous vous renvoyons entre autres sur “amis de la terre” .


Réparer


Un autre problème lié à l’obsolescence programmée est l’organisation de la possibilité de réparation, ou du moins à coûts décents. Néanmoins, pour les plus bricoleurs d’entre nous, diverses solutions existent. Pour les trouver, nous vous renvoyons sur “Comment réparer” qui vous proposera de poser des questions sur la réparation de vos biens et vous renverra également vers d’autres solutions sous les intitulés: “pièces détachées”, “dépanneurs”, “jeter”, “transformer”.

La réparation a un double intérêt. Premièrement, celui de retrouver votre objet dans un état utilisable et, ensuite, celui de socialiser autour de la réparation. En effet, vous pourrez, lors de vos recherches d’information ou d’outils, rencontrer de nouvelles personnes partageant avec vous le désir de changer le système tout en ne le reniant pas forcément complètement. Pour favoriser ces rencontres, mais également vous faciliter l’accès à des outils, il existe des lieux: les repair cafés. Vous pouvez les localiser près de chez vous, du moins si vous habitez en Belgique via Repair Together asbl l'association d'aide au démarrage, maintien et développement du réseau belge des Repair Cafés (Wallonie-Bruxelles) via le site collaboratif www.repairtogether.be qui promeut et s'emploie à sensibiliser et informer le grand public aux initiatives citoyennes, à l'économie circulaire et à la lutte contre l'obsolescence programmée

Légiférer


Enfin, la possibilité d’action la plus importante se trouve dans la législation. En effet, quand le monde privé n’est plus capable de fournir certaines valeurs de lui-même, quand le libre marché ne tend pas à un résultat correct, c’est la fonction des législateurs de fixer les règles. Nous ne nous prononcerons pas sur l’identité du législateur ni sur le texte précis qu’il devrait adopter. En effet, de nombreux acteurs sont légitimes pour réguler les problèmes que nous soulevons. L’État, en ce compris en Belgique les Régions, d’abord, comme législateur ordinaire pourrait réguler relativement facilement et avec force. Néanmoins, la petite taille et les faibles sanctions imposées par les États ne sont pas forcément aptes à imposer de fortes règles. L’Union européenne, ensuite, serait sans doute un acteur très influent concernant l’obsolescence que cela soit grâce à sa taille ou sa force d’action. Cependant, les processus décisionnels à son niveau sont pour le moment conditionnés par les États membres ce qui rend le processus législatif assez compliqué. Enfin, il serait possible de rêver à une grande convention internationale mettant tout le monde sur un pied d’égalité et de qualité. Néanmoins, il faut noter que les conventions internationales ne sont pas forcément de la plus grande effectivité. Peu importe donc le niveau, l’important c’est d’avancer. Il est à noter qu’il existe déjà des processus législatifs intéressants. Par exemple, en France, une législation oblige les garagistes à proposer des pièces d’occasions pour réparer les voitures endommagées (Décret n° 2016-703 du 30 mai 2016 relatif à l'utilisation de pièces de rechange automobiles issues de l'économie circulaire). Cette réglementation n’est pas forcément énormément respectée mais elle a le mérite d’exister dans un secteur très protégé par les États au nom de la concurrence internationale. De telles législations pourraient être élargies avec par exemple l’obligation de produire et de distribuer des pièces de rechange sur les territoires où ils distribuent leurs produits. D’autres législations sectorielles pourraient également être mises en place par exemple concernant les batteries de téléphones portables. Néanmoins, cette seconde option est peut-être moins enviable puisqu’une inflation législative ne permet pas au citoyen de connaître et de se voir reconnaître ses droits. Un autre exemple de législation transversale, mais cette fois au niveau européen, se situe au niveau de la garantie légale pour les biens de consommation. Il s’agit d’une garantie de 1 ou 2 ans qui, dans le faits, permet la réparation ou le remplacement de l’appareil défectueux. Cette garantie pourrait être allongée de quelques années soit de manière générale soit pour des catégories de produits. Une législation pourrait également mettre en place un système de dédommagement forfaitaire lorsque les appareils tombent en panne, ou bien encore interrompre le délai de garantie à chaque réparation, c’est-à-dire de récupérer une garantie de 2 ans à chaque fois que l’utilisateur est dessaisi de son bien. Enfin, et pour finir par la mesure la plus large, il serait imaginable de donner une valeur constitutionnelle au “droit à être traité de manière durable”, ce qui empêcherait de prendre légalement les décisions que nous critiquons que ce soit entre particuliers ou lors des relations avec l’État.


Pour aller plus loin

Livres:

  • LATOUCHE, S., Bon pour la casse : les déraisons de l’obsolescence programmée, Lonrai, Les Liens qui Libèrent, 2016.

  • LIBAERT, T., Déprogrammer l’obsolescence, Paris, Les petits matins, Politiques de la transition, 2017.

  • VASSEUR, L., SAUVAGE, S., Du jetable au durable : en finir avec l’obsolescence programmée, Paris, Gallimard, Alternatives, 2017.


Ressources web:

  • Recherche MINES ParisTech, Description d'une contreverse socio-technique, http://controverses.mines-paristech.fr/public/promo13/promo13_G22/www.controverses-minesparistech-7.fr/_groupe22/index.html

  • HOP, Halte à l'obsolescence programmée, https://www.halteobsolescence.org/

  • PARLEMENT EUROPEEN, Rapport sur une durée de vie plus longue des produits : avantages pour les consommateurs et les entreprises (2016/2272(INI)), http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A8-20170214+0+DOC+XML+V0//FR

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