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L'administration est-elle politique?


Dans notre premier article, Qu’est ce que la politique?, nous avions cherché à définir la politique. Nous étions arrivés à la conclusion que la politique était “ce qui forme et garde solidaire une société”. Cette conclusion faite, nous nous étions demandés si les élections telles qu'elles se passaient dans dans notre occident postmoderne était de la politique ou non. Sans entrer dans les détails, nous étions arrivés à la conclusion qu’il ne s’agissait pas là de politique. Une question se pose dès lors: où trouver de la politique?

Une analyse de l’ensemble des lieux où pourrait se trouver la politique serait sans doute intéressante, néanmoins, elle serait sans doute peu relevante au vu de l’optique prise par ce site qui le pousse à limiter le caractère technique de ses articles. Pour autant, il me semble intéressant d’examiner si une partie de la réponse pourrait être l’“administration”. En effet, l’administration est un organe central de la société que nous fréquentons tous et qui est présente dans une bonne partie des discours des médias et des ministres. Pour autant, elle a fait de la neutralité une règle prédominante au point de s'écarter des citoyens. La situation est ambiguë alors que dépend de la réponse notre point de vue sur elle, sur sa manière de fonctionner, sur sa manière de la faire évoluer, sur ses raisons d’exister.


La genèse de l’administration

Comme beaucoup de choses humaines, ce qui pouvait être appelé “administration” au cours du temps a beaucoup évolué. Il est important de se rappeler que la stabilité de nos sociétés n’est qu'apparente et que nous ne pouvons pas juger toute l’administration uniquement via le prisme de ce qui existe aujourd’hui.


L’administration moderne apparaît en Chine aux premiers siècles de notre ère. Pendant ce temps, dans nos contrées, l’Empire romain règne et développe son propre système de gouvernance en recrutant un nombre sans cesse grandissant de fonctionnaires. Pour autant, nous ne connaissons pas l’administration moderne depuis des millénaires. En effet, la chute de l’Empire romain et la montée de nouveaux royaumes ont profondément bouleversé la situation. Les sociétés qui apparaissent alors connaissent un système féodal formé de seigneurs tenus entre eux par des fidélités personnelles et régnant directement sur leurs terres. Il s’agit là d’un degré zéro de l’administration: il n’y a pas de séparation entre fonction et personne et chaque dirigeant a un contrôle local sur ses terres ou sur ses vassaux.

Il faut attendre l’avènement progressif de l’État avec les royaumes absolutistes du XVème siècle pour voir se développer à nouveau l’administration. En effet, la mentalité de l’époque est propice à celle-ci sur deux points. Tout d’abord, il y a une séparation entre la personne qui exerce le pouvoir et la fonction de pouvoir: Le Roi-Léviathan, figure emblématique de l'absolutisme, est immortel et reste unique peu importe que celui qui l’incarne change ou non. Ensuite, le Roi règne directement sur l'ensemble des terres du royaume et chaque territoire n’est pas tenu par un vassal le contrôlant au plus près. Cela implique que, le Roi, qui ne peut pas être partout, a besoin d'yeux et d'oreilles pour gouverner.


Le Roi va donc s’entourer de conseillers qu’il nomme personnellement et directement. Ceux-ci ont la charge de divers secteurs de la sociétés et certains gèrent les affaires courantes. Pour ne prendre que le cas français, on parle alors d’une vingtaine de personnes pour les secteurs de la société, à l’image des nos services publiques et ministères modernes gérant les finance, les territoires, l’agriculture etc. , et quatre pour les affaires courantes. Ces conseillers sont des extensions du pouvoir royal, ils sont nommés au bon vouloir du Roi dans le but de le soutenir. Il est important de noter la grande instabilité de l’époque en ce qui concerne ces conseillers. En effet, les compétences étaient fréquemment redécoupées et même la quantité de conseillers pouvaient variés.


Progressivement, les fonctions vont se stabiliser, s’institutionnaliser: Les plus importantes, les régaliennes, seront les premières suivies de peu par l’ensemble des fonctions de l’État. Après la révolution française, les pouvoirs subiront de nombreuses transformations. Entre autres, la prise de décision va majoritairement passer à des modes collégiaux et l’administration centrale va étendre son pouvoir au local par des mécanismes de déconcentration. L’administration devient alors un organe incarné par plusieurs personnes et unique malgré son existence en plusieurs lieux. Sa grande taille et ses pouvoirs se sont également totalement stabilisés permettant d’en assurer une certaine survie malgré les bouleversements politiques.


En bref, en examinant son origine, le côté politique (déf.: “ce qui forme et garde solidaire une société”) de l’administration, organe du Roi, ne fait pas de doute. Néanmoins, aujourd’hui l’administration, organe de l’État, renvoie un idéal transcendant le politique en faveur de la stabilité.

Le rôle de l’administration

Nous ne pouvons pas nous contenter d’une réponse aussi simple qu’un changement de logique ayant eu progressivement lieu et ayant atteint son terme, sortant totalement l’administration du politique. En effet, si nous n’avons de doute sur la prise d’indépendance de l’administration, nous ne savons pas si elle est aujourd’hui totale et, si elle ne l’est pas, si elle est possible. Il nous faut donc examiner si dans la pratique le rôle de l’administration lui a réellement permis d’être séparée du politique?

Cette séparation est en tout cas un des principes exposés par Woodrow Wilson, politologue de la fin XIX devenu président des États-Unis, dans “The Study of Administration” qui l’érige en postula. Néanmoins, Wilson n’utilise pas le même concept de politique que nous. En effet, il parle de politique dans le sens du jeu démocratique. Wilson affirme donc simplement une certaine marge d'indépendance dans le chef de l’administration qui est plus stable que le détenteur du pouvoir.

Par ailleurs, Gordon Clapp, président de la Tennessee Valley Authority, une société de développement économique du Tennessee, au millieux du XX, définit l’administration comme un “instrument public permettant de réaliser plus complètement la société démocratique”. L'administration comme outil au service de la démocratie pourrait facilement entrer dans notre définition de la politique. En effet, la démocratie est un élément constitutif de notre société et sa déficience est souvent une source de désunion. Ce qui permet le fonctionnement de la démocratie aide donc à faire société et pourrait être de la politique.

Pour autant, la forge n’étant pas le forgeron, un outil n’est pas une fonction. L’administration comme simple outil du pouvoir n’a pas le pouvoir lui permettant de garder la société cohérence de manière autonome. Par exemple, quand l’administration vous offre une prime, ce qui est de la politique puisque cela promeut une valeur commune, elle ne le fait que parce que le gouvernement le lui a demandé. L’administration “traite de l'intendance et de la mise en œuvre des produits d'une démocratie vivante”, c’est la position de Patricia Shields, professeur de sciences politique contemporaine. Dans cette vision des choses, l’administration serait un relais du politique et non un des lieux de son existence.


Trois positions semblent donc coexister et sont soutenues par des auteurs des plus sérieux: il y a une séparation de principe entre le politique et l’administration, l’administration est un lieu de politique ou l’administration est un support de la politique.

Les règles propres à l’administration

Il n’est donc pas possible de définir le statut politique ou non de l’administration à l’aide de son histoire ni de son rôle. Une dernière tentative pour le définir serait d’examiner les règles de fonctionnement légales ou tacites qui régissent les administrations.


Classiquement, l’administration est régulée par les trois lois du service public à savoir: la loi de la continuité, la loi de la neutralité et la loi de la mutabilité. Ces trois lois ne sont pas des règles écrites en tant que telles mais des principes qui transcendent les évolutions de l’administration depuis le début du XXème siècle.

La loi de la continuité est héritée de la séparation entre individu et fonction. En effet, l’administration, et plus largement le service public, doit subsister peut importe les aléas du monde extérieur. Il n’est pas envisageable, ou du moins pas acceptable, que l’État perde ses moyens ou que ceux-ci fluctuent sans raison primordiale. Cette loi est intéressante dans le cadre de notre question. En effet, elle a été instaurée de crainte que la société ne se démantèle durant la vacance de certaines fonctions. Or, si la crainte est de voir la société disparaître sans l’administration, c’est probablement que cette dernière a un rôle actif dans celle-ci.

Le principe de neutralité est non moins intéressant. En effet, celui-ci pose que l’administration doit être égale pour tous. Sans entrer dans les débats sur la diversité des formes d’égalité, une interprétation de ce principe impose que les agents de l’administration ne peuvent arborer une préférence religieuse ou politique, ils doivent être neutres. Cette exigence fait aujourd’hui débat car elle ne saurait être que partielle, par exemple, aucun fonctionnaire ne cache son identité sexuelle, et qu’elle ne protège pour autant pas d’une réelle discrimination. L’administration neutre serait donc à l’image d’une vision détachée du politique: L’administration transcende les tensions de la société.

Enfin, le principe de mutabilité permet à l’administration d’évoluer librement pour rester au plus proche des besoins de la société. Il n’y a donc rien d’acquis envers l'administration tant pour ce qui est des prestataires externes, qui peuvent se voir imposer la fin d’un contrat plus aisément que dans le monde privé, qu’envers les usagers ou les fonctionnaires, qui ont un statut et pas un contrat plus rigide. Ce dernier principe peut nous renvoyer l’image de l’administration outil. En effet, celle-ci n’a pas une existence propre mais doit coller à la réalité de la société pour lui appliquer les désirs des dirigeants.

Conclusion


Nous n’avons pas pu définir le caractère politique ou non de l’administration tant en regardant son histoire, que son rôle, que les règles qui la régissent. Et, pour cause, l’administration n’a pas de définition universelle mais est, toujours aujourd’hui, avant tout ce qu’on en fait. Pour clôturer avec l’histoire de l’administration et notre exemple français, depuis des décennies les dirigeants de l’administration étaient considérés comme neutres et fidèles à tout gouvernement. C’est une vision d’administration outil qui est directement régie par les élus. Mais en 2017, après l'accession au pouvoir d’Emmanuel Macron, l’administration a vu sa direction modifiée pour permettre une plus grande cohérence entre gouvernement et administration. Cette modification fait donc de l’administration un véritable lieu de politique qui doit être investi par le pouvoir à l’image des cénacles des représentants.


Il y a donc un choix dans ce qui est fait de l’administration et ce choix n’est pas sans conséquences.

En effet, en choisissant une administration apolitisée, il est posé le choix d’une administration de grande taille. En effet, l’administration neutre peut être acceptée partout, même si elle n’en est pas pour autant appréciée, et peut collecter des informations et appliquer des politiques sur des territoires très différents. Il s’agit d’une administration de grande envergure, relativement centralisée, se référant au final à une seule direction. Pour autant, elle peut pratiquer la déconcentration, c’est à dire la constitution de relais locaux sous le contrôle du pouvoir central, pour être au fait de la situation de chaque territoire. Néanmoins, cette administration va presque inévitablement se déshumaniser et ne plus fonctionner sur base de valeurs mais sur base de logiques.

Le choix d’une administration comme lieu de politique va amener des conséquences en miroir. Faire ce choix va fonder une administration moins stable et surtout qui aura un soutien bien plus éclectique dans la population. Or, si le territoire qu’elle couvre est grand, il y a un risque de voir apparaître des régions défavorables à l’administration désirant leur propre administration indépendante dirigée par leurs valeurs. L’administration centrale va donc se décentraliser, c’est à dire perdre des fonctions en faveur d’autres administrations indépendantes plus locales. À terme, cela pose un problème d’hétérogénéité normative: d’un petit territoire au suivant, ce ne sont pas les mêmes règles qui sont appliquées. Néanmoins, un tel type d’administration a la force de fonctionner selon des valeurs et non des logiques. Cela signifie que l’humain y joue une place plus importante et qu’elle est fondée sur un idéal de société, sur une justice.


Enfin, un troisième choix s’offre à nous: le choix de l'inconnu. Je ne peux pas, personnellement, me satisfaire ni d’une administration apolitique ni d’une administration politique, je ne peux faire un choix entre l’inhumanité ou la fragmentation. En effet, si nous désirons faire vivre une société nous ne pouvons pas nous limiter à des fonctions mathématiques oubliant les individus mais nous ne pouvons pas non plus oublier ceux qui habitent à côté de nous mais qui n’ont pas les mêmes opinions. Nous avons besoin d’échanges humains et d'entraide, nous avons besoin de politique et d’absence de politique. Pour pouvoir arriver à un tel résultat, nous devons accepter de remettre en question les fondements mêmes de notre société hérités depuis des siècles. Nous n’allons pas donner dans cet article de solution miracle, mais nous en appelons à la réflexion et à la remise en question de nos fondements. Exemple parmis d’autres, à l’époque ou des États entiers disparaissent sous les flots, à l’époque où les jeux olympiques acceptent divers groupes d’athlètes en dehors de toute nationalité, à l’époque où ce site internet a été ouvert dans une dizaine d’États, pourquoi l'administration devrait-elle être toujours liée au territoire et non directement à la population ?

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