top of page

Cette page peut contenir des opinions. Restez critique et n'hésitez pas à me contacter ou à publier sur le forum de discussions pour faire vivre le débat.

La société de l'objectif


“A 54 ans, dotée d'une forte expérience en coaching, management, service client entre autres mais pas que, je suis actuellement en recherche d'emploi. J'ai postulé pour un poste de manager centre de contact en Belgique. J'ai passé les tests, écrits, oraux, mise en situation, et défense de ma candidature devant un jury. J'ai, à l'issue du processus de recrutement, été acceptée au poste proposé, c'est alors posé le problème du niveau de diplôme requis, car étant Française, je devais passer par un système d'équivalences de diplômes. Et la ... Catastrophe, les diplômes obtenus en instituts privés ne sont pas reconnus au niveau des équivalences. Seuls les diplômes qui émanent d'écoles publiques sont reconnus. Le problème, à mon époque, les écoles publiques ne dispensaient pas de cours niveau BTS informatique, force était de passer par des instituts privés. Le poste m'a donc été refusé ... Qu'à cela ne tienne, je postule à un autre poste en tant que coach en pédagogie formative et cette fois ci en France. Ma candidature est refusée sans entretien ni quoique ce soit d'autre. Non découragée par ces échecs, pour une autre entreprise du même groupe, je postule à une autre offre d'emploi, et je décroche un entretien. Pendant l'entretien, mes interlocuteurs, surpris par mon profil, me disent : "mais pourquoi avec le profil que vous avez, vous n'avez pas postulé pour le poste de coaching en pédagogie que nous avions proposé il y a quelques temps" ... Je vous laisse imaginer ma réponse ... "Je l'ai fait mais ma candidature a été refusée" ... La surprise fut grande de la part de mes interlocuteurs, et la question suivante a été "mais nous vous avions vu en entretien ?" ... Force m'a été de répondre "non effectivement ma sélection est restée une sélection sur C.V."”

(Nadine Mouquet, Entretien d'embauche : "Que pensez vous de cette image ?" (en ligne), https://www.linkedin.com/pulse/entretien-dembauche-que-pensez-vous-de-cette-image-nadine-mouquet/, Consulté le 12/04/2018)

Introduction

Cette histoire vécue par Nadine Mouquet n’a pas besoin d’une analyse très poussée pour être comprise par chacun d’entre nous. En effet, qui peut prétendre aujourd’hui qu’elle ne fait pas écho à une de ses expériences personnelles? Qui n’a jamais vu une opportunité lui échapper sans cause autre qu’une décision presque automatique d’un secrétariat ou d’une administration?

À longueur d’années, nous remplissons des formalités, des tests, des demandes de renseignements pour que d’autres prennent une série de décisions nous concernant par la comparaison de variables ou de conditions objectivement définies. Toute notre société est aujourd’hui tenue par ce mode de décision pour le meilleur et pour le pire, de votre boucher qui vous vend votre viande en fonction de son poids et de son type à nos États à la légitimité légale-rationnelle selon Max Weber.

Et pourtant, les décisions prises de cette manière nous semblent souvent injustes et éloignées de nos intérêts voire contre-intuitives. Une question nous vient alors naturellement à l’esprit: Notre système est-il réellement rationnel?

Les fondements

Nous décortiquons dans cet article, les “décisions de raisons”. Ce mode de prises de décision est celui prôné dans nos sociétés et qui est censé guider nos actions. Montaigne le reconnaissait avec son “Chaque usage a sa raison”. Pour autant, ce n’est pas une évidence.


Souvent en opposition à la raison, se trouve le coeur, le sentiment, l’impulsivité. Personne ne niera que nous avons là deux moyens de prendre des décisions. Néanmoins, certains diront que le coeur est raisonnable, allant jusqu'à affirmer que “le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point” (Pascal).

Outre la raison et le coeur, il y aurait d’autres modes de prise de décision, comme par exemple la loi du plus fort. En effet, se plier à l’avis de celui qui nous menace permet de prendre rapidement une décision et ce, sans faire preuve de raison sur le contenu de la décision. À y réfléchir, la loi du plus fort n’est surtout pas raison car elle ne met pas en balance des valeurs mais ne se fie qu’à une seule, celle donnée par le dominant.

De même, la loi du cœur n’est pas raison, car elle ne se fie pas à un équilibre de valeurs mais uniquement à celle qui nous semble centrale. Ainsi, si l’argument le plus fort est d’un côté et opposé à tous les autres arguments imaginables, le cœur lui accorde quand même sa préférence là où la raison ferait se renverser la balance.


Cet équilibre, nous avons fait le choix de lui donner une place centrale. Peut-être parce que l’homme est grégaire, comme beaucoup d'animaux, mais il est également social et qu’à force de chercher un équilibre entre personnes nous avons cherché un équilibre en toutes choses.

“La raison: Développer la conscience collective, on en revient toujours à l’humain” (Entretien avec Nadine Mouquet)

Pour reprendre l’exemple des prix, ils sont normalement à l’équilibre entre les coûts de production, qui sont évaluables et objectivables en regardant les salaires, coûts des matériaux et usure des engins, et le pouvoir d’achat des consommateurs, tout aussi objectivable par le salaire et le prix des dépenses plus ou moins compressibles. Le prix est donc fixé par une sorte de raison objective.

Conceptuellement, l’objectivité fait son retour dans les relations interpersonnelles et progressivement les objective au nom de la raison. Chacun a raisonnablement droit à tel traitement de par telles conditions. Ces ainsi, par exemple, que ceux qui objectivement n’ont pas de quoi vivre pourront bénéficier de la la sécurité sociale ou que, objectivement, les criminels ayant commis les crimes sur des valeurs plus importantes seront punis plus lourdement, étant donné que la vie humaine est inestimable.

Pour reprendre ce dernier exemple, c’est une forme de juste très appréciable que celle où l’on n’est pas traité selon sa nationalité, sa morphologie ou ses parents mais sur ce que l’on a fait et progressivement toutes les raisons pour lesquelles on l’a fait. C’est entre autres, en droit belge, à cela que servent les “circonstances atténuantes” et “aggravantes”. Néanmoins, ce système n’est pas infaillible. En effet, les circonstances aggravantes, pour assurer le prévenu de tout jugement personnel et injuste de la part du magistrat ou des jurés, sont définies limitativement pour chaque infraction. Or, il arrive que les actes ayant étés commis ne fassent pas partie dans toute leur horreur de ces définitions ce qui plonge les victimes dans un grand désarroi.

Transposée pour le meilleur et pour le pire dans toutes les facettes de nos sociétés, l’objectivation a dû faire face à de plus en plus de critères. En effet, imaginons les critères servant à l'embauche d’un travailleur comme Nadine. Le critère principal serait l’efficacité dans un sens très large: Quel coût représente cette candidate pour quelle production quelle innovation, quelle constance,...? Dans les faits, ce critère n’est pas utilisable, il est trop divisé en facteurs qu’il faut considérer séparément. Or, beaucoup ne sont pas directement opérationnalisables, il n’est pas possible de les évaluer. L’administration objective va donc utiliser des critères liés tels que l’âge, la durée des précédentes expériences, la distance entre le travailleur et le lieu du travail, les diplômes,... Pour autant, ces critères, ne sont pas raisonnablement facteurs de ce que recherche l’entreprise et vont lui faire prendre des décisions contraires à ses propres intérêts.

Définitions

En partant donc d’une idée de mise en tension, de réflexion, d'intelligence humaine, nous en sommes arrivés à une situation contraire à toute logique. Cela a pu se dérouler à notre insu par un progressif changement de sens dans les mots que nous utilisions.


Au départ, le choix de la raison est celui de l’équilibre entre les valeurs. Il est une réflexion difficile qui consiste en la mise en tension des différents intérêts, qu’ils soient portés par des individus différents ou qu’ils se confrontent dans la même personne.

Ces équilibres n’étaient pas faciles à obtenir et sans doute que, à la plupart des questions humaine, la raison accordait plusieurs réponses, n’en déplaise à Descartes. Néanmoins, dans le champ des objets, plus parfaitement représentables par les mathématiques, la démonstration d’un équilibre n’est pas un problème. De ce fait, le caractère “objectif”, qui se rapporte à un objet, d’un problème assure un plus grand succès à la raison. Pour autant, l’objectivité n’est pas la raison. La première est un type de méthodes de collecte d’informations là où la seconde est un type de méthodes de prises de décision. Les deux se conjuguent bien ensemble mais là se termine leur rapprochement.

Pour autant, l’Histoire ne s’est pas arrêtée là et ce duo objectivité-raison a été utilisés dans des situations où la raison seule n'arrivait pas à donner de réponse. Pour cela, il a fallu objectiver les relations humaines et jusqu’aux Hommes eux-mêmes. Il a fallu chercher ce qui était objet dans les êtres vivants et l'immatériel. L’âge pour l’expérience, la distance pour la disponibilité, le diplôme pour la compétence. L'immatériel est alors devenu tangible.

Néanmoins, ce changement de forme n’a pas été sans laisser de marques sur ce qu’il étudiait. Aucun diplôme n’est révélateur viable d’une compétence, il n’en est que l’indice objectif. Or, l’objectivité se contente de l’indice pour définir ce qui est réel ou non. Il y a donc une certaine opposition pour le monde des non-objets entre raison et objectivité. Cette opposition a vu sortir l'objectivité gagnante car la raison apportait des réponses certaines à bien moins de questions qu’elle. Et cette victoire a été telle que le sens de “raison”, c’est à dire la mise en tension, a été remplacé par celui d'objectivité.


C’est ainsi qu’en cherchant la raison nous avons imposé l’objectivité. Pour autant, nous avons perdu la raison d’être de la raison. En effet, si elle a été favorisée par rapport aux autres modes de décision, si aujourd’hui celui qui a commis un crime ne se voit pas simplement soumis à la volonté blessée des victimes, si celui qui a besoin d’aide ne se voit pas, tant que possible, forcé de faire la manche que ce soit pour un maigre bout de pain, pour des panneaux solaires ou pour l’accès au monde scolaire, c’est parce que la tension et la prise en compte de tous les intérêts avaient une plus grande assurance de justice.

Cette justice, elle n’est pas mise en danger dans un monde formé d’objets. En effet, dans ce monde, il y a peu de décalage entre ce qui est perçu et ce qui est vraiment. Il en est tout autant dans un monde où tous les critères sont insuffisants. Certes, il est plus simple de prendre des décisions en faisant de l’objectivation en tout lieu, mais ce serait surestimer nos capacités à le faire que d’en présumer une justice. “Ne soyez pas plus sages qu’il ne faut, mais soyez sobrement sages” (Montaigne).

La justice au sens du droit, qui pourra faire l'objet de développements ultérieurs, est bien un lieu de tension entre objectivité et raison humaine. “Prenons le jugement, on établit des peines en fonction des délits, [...] il faut une structure, [...] il y a des marges. Mais pourquoi définir que tel délit c’est telle peine? Le gars il est en train d’égorger un chien, c’est un délit avec une peine, [...] mais c’est le chien d’une petite vieille qui n’a plus que ce chien, là on rentre dans le champ de l’affectif, est-ce que vous trouverez la peine juste? [...] Remettons l’humain au centre de la justice!” (Entretien avec Nadine Mouquet)

Conclusion

Nous avons pu observer d’où provenait la logique de notre système, ses fondements et ses dérives. Néanmoins, notre étude ne nous permet pas encore d’être pleinement satisfaits. En effet, et sans donner pour autant dans le prêt-à-penser, nous n’avons pas encore pu nous exprimer sur le caractère durable ou non de notre système.

En effet, sans doute celui-ci possède aujourd’hui et des avantages et des inconvénients qu’il ne semble pas possible de dissocier. Et pourtant, l’équilibre entre eux ne semble pas pencher du même côté d’une balance morale en fonction des situations. Nous ne pensons pas que cela soit tant lié à des facteurs situationnels qu'à une différence dans le niveau de réflexion de l’objectivité.

Si nous reprenons notre modèle de description des logiques de notre article précédent, et dans un premier temps, nous pouvons exprimer le fonctionnement d’une administration avec 2, le caractère rationnel, et 3, l’ensemble des autres caractères bouleversant la société donnant 6. Ce 6 correspond aux attentes des utilisateurs. En effet, si ceux-ci sont en 3, car ils intériorisent les variables de la sociétés, ils acceptent volontier un 2 leur donnant accès à une administration efficace. Après tout, 3 et 6 ne sont pas si écartés quand on regarde l’étendue des nombres. Dans un second temps, les administrations qui sont dépassées cherchent à augmenter leurs rendement. Pour ce faire, elles vont se “rationaliser”, c’est à dire mener une réflexion entre d’une part leur propre pensée et d’autre part la logique rationnelle, 2. Elles passeront dès lors de 6 à 12, 24, 48,... s’écartant toujours plus du 3 de la population. Ce 3 est même progressivement dilué dans la multitude de 2 et la population n’est plus en phase avec le mode de décision.

Ce processus, il n’est pas vécu par tout le monde de la même manière. Le boucher ne sera jamais submergé au point de devoir mener cette réflexion, le supermarché un peu plus et l’État énormément.

Pour autant, faut-il retourner à un État primaire n’ayant pas cette administration optimisée? Sans doute que cela serait illusoire et dangereux. En effet, la justice de nos États, les règles qui nous protègent tous, sont également liées à cette réflexion complexe et il serait dangereux et moralement inadmissible de les réduire à néant.

Ce dont nous avons besoin serait bien plus de déplacer le niveau de réflexion dans des outils plus performants auxquels tout le monde aurait accès. En deux mots, cela reviendrait à incorporer dans le 3 un certain nombre de facteurs 2 et donc de les rendre communs à tous. Par exemple, en augmentant le nombre de bases de données partagées entre chaque administration, nous créons un outil unique, rationnel et réfléchi en profondeur, mais qui permet de donner du temps à chaque administration l’utilisant pour être plus proche des gens. De la même manière, en rendant disponibles pour tous les textes de lois expliqués clairement, on réduit les conflits juridiques et nous pouvons les rendre plus humains. Enfin, en déconcentrant les décisions et en répartissant correctement les

tâches et les moyens, nous pouvons rendre chaque service plus humain et efficace et ce, que ce soit au niveau des grandes administrations ou des petites PME.


Merci à Nadine Mouquet pour sa collaboration dans cet article.


6.png
Posts à l'affiche
Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
Pas encore de mots-clés.
bottom of page